Ô muse de mon coeur, amante des palais, Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées, Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées, Un tison pour chauffer tes deux pieds violets?
Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées Aux nocturnes rayons qui percent les volets? Sentant ta bourse à sec autant que ton palais Récolteras-tu l'or des voûtes azurées?
II te faut, pour gagner ton pain de chaque soir, Comme un enfant de choeur, jouer de l'encensoir, Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère,
Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas Et ton rire trempè de pleurs qu'on ne voit pas, Pour faire épanouir la rate du vulgaire.
Bizarre déitè, brune comme les nuits, Au parfum mélangè de musc et de havane, Oeuvre de quelque obi, le Faust de la savane, Sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits,
Je préfère au constance, à l'opium, au nuits, L'élixir de ta bouche où l'amour se pavane; Quand vers toi mes désirs partent en caravane, Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.
Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme, Ô démon sans pitiè! verse-moi moins de flamme; Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois,
Hélas! et je ne puis, Mégère libertine, Pour briser ton courage et te mettre aux abois, Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine!
Le temple enseveli divulgue par la bouche Sépulcrale d'égout bavant boue et rubis Abominablement quelque idole Anubis Tout le museau flambè comme un aboi farouche
Ou que le gaz récent torde la mèche louche Essuyeuse on le sait des opprobres subis Il allume hagard un immortel pubis Dont le vol selon le réverbère découche
Quel feuillage séché dans les cités sans soir Votif pourra bénir comme elle se rasseoir Contre le marbre vainement de Baudelaire
Au voile qui la ceint absente avec frissons Celle son Ombre même un poison tutélaire Toujours à respirer si nous en périssons.
Mon enfant, ma soeur, Songe à la douceur D'aller là-bas vivre ensemble! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n'est qu'ordre et beautè, Luxe, calme et voluptè.
Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l'ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l'âme en secret Sa douce langue natale.
Là, tout n'est qu'ordre et beautè, Luxe, calme et voluptè.
Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l'humeur est vagabonde; C'est pour assouvir Ton moindre désir Qu'ils viennent du bout du monde. - Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D'hyacinthe et d'or; Le monde s'endort Dans une chaude lumière.
Là, tout n'est qu'ordre et beautè, Luxe, calme et voluptè.